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La Presse
05-08-2025
- La Presse
Survivrons-nous à Hiroshima ?
Un guide volontaire de 12 ans offrant ses services aux touristes près du dôme de la bombe atomique, à Hiroshima, au Japon Quelque 16 000 tonnes de TNT, entre 70 000 et 140 000 morts. Le 6 août 1945, les Américains ont largué la première bombe atomique de l'histoire sur Hiroshima, jovialement appelée Little Boy, selon son nom de code. Marc Tremblay Lanaudière La bombe avait explosé à plus de 600 mètres d'altitude, pour faire le maximum de victimes. Au début, les Japonais refusaient de croire qu'il ne s'agissait que d'une seule bombe et s'indignaient que les Américains aient pris pour cible une grande ville et des civils. Quand Fatman, la deuxième bombe, a été larguée trois jours plus tard sur Nagasaki, l'empereur Hirohito a demandé l'arrêt des hostilités. Le Japon avait perdu la guerre. Mais qu'avait gagné le monde, exactement ? Aujourd'hui, l'horloge de l'apocalypse conçue en 1947 par des scientifiques liés au projet Manhattan indique minuit moins 89 secondes1. Elle n'a jamais été aussi proche de la fin. Plus proche encore que lors de la crise des missiles de Cuba en 1962. Si minuit approche, c'est pour une foule de raisons, mais surtout à cause des changements climatiques et, bien sûr, de la menace nucléaire. L'intelligence artificielle s'est aussi ajoutée récemment à la liste des périls menaçant l'humanité. Dans les années 1980, quand j'étais à l'université, la guerre froide battait son plein et nous étions hantés par la perspective de cette fin du monde auto-infligée par l'homme. Des films tels que The Day After qui illustraient les conséquences d'une guerre nucléaire ont presque traumatisé ma génération. Ronald Reagan parlait de la guerre des étoiles, ce bouclier défensif qui allait permettre aux États-Unis de prendre une longueur d'avance sur l'URSS. Les deux puissances combinées possédaient alors des dizaines de milliers d'ogives nucléaires capables de détruire le monde plusieurs fois. Si le premier traité START conclu entre les États-Unis et l'URSS en 1991 a permis de réduire cette folle course vers la mort en forçant la destruction d'une partie de l'arsenal américain et russe, la menace nucléaire n'a pas pour autant reculé et continue à faire peser une lourde épée de Damoclès sur la planète. Actuellement, neuf pays possèdent la bombe atomique : les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France, la Chine, Israël, la Corée du Nord, l'Inde et le Pakistan. En plus des menaces nucléaires de la Russie à l'endroit de l'Ukraine, les deux voisins du sous-continent indien sont régulièrement à couteaux tirés et Israël est mené par le gouvernement le plus belliqueux de son histoire. Il y a aussi au sud de la frontière un président très « imprévisible », pour employer l'euphémisme consacré… Ironiquement, plutôt que de faire marche arrière dans cette folie meurtrière, nous nous apprêtons à faire le contraire, à investir des sommes inouïes dans le militaire avec un enthousiasme qui n'est pas sans rappeler l'absurde candeur de 1914 quand des soldats partaient souriant au front comme on part à l'aventure. On connaît la suite… À une erreur de l'apocalypse L'emploi des deux bombes au Japon en 1945 meuble les conversations des historiens depuis 80 ans : ce recours était-il justifié ? Le président Truman avait motivé le largage des bombes à Hiroshima et à Nagasaki par la vie d'au moins une centaine de milliers de soldats américains qu'il allait ainsi épargner et par l'obstination du Japon à poursuivre la guerre à n'importe quel prix. Mais pourquoi ne pas avoir largué la première bombe sur un site militaire ou industriel japonais et épargné ainsi des dizaines de milliers de vies innocentes ? PHOTO JUNG YEON-JE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE Une télévision montrant le tir d'essai d'un missile Hwasong-17 en Corée du Nord, en 2023 Pendant 80 ans, nous avons vécu avec les enfants d'Hiroshima, je parle de sa progéniture technologique. Et entre les missiles Minuteman américains et les RS-28 russes est apparu le Hwasong-17 de la Corée du Nord. Dans un récent livre aussi fascinant qu'absolument horrifiant, Guerre nucléaire : un scénario, la journaliste américaine Annie Jacobsen imagine une guerre nucléaire totale déclenchée par seulement deux ogives nucléaires coréennes. Le récit captivant tourne autour du « dictateur fou » et anéantit ce qui est peut-être le plus grand sophisme technologique de tous les temps : la « dissuasion nucléaire ». Ce sophisme est la présomption voulant que la destruction mutuelle empêche quiconque d'amorcer une guerre nucléaire. Il exclut à la fois la possible folie d'un seul homme et les simples erreurs comme celle survenue en 1983. Des satellites russes avaient alors faussement signalé l'envoi de cinq missiles nucléaires américains. N'eût été le sang-froid d'un lieutenant-colonel russe, Stanislav Petrov, notre monde aurait peut-être chaviré pour de bon. L'astrophysicien Hubert Reeves était persuadé que si une civilisation avancée existait ailleurs dans l'univers, elle aurait probablement fait face à des défis semblables à ceux auxquels nous faisons face, cette capacité d'autodestruction : « Combien de populations planétaires ont rencontré, avant nous, le tournant crucial que nous traversons en ce moment sur Terre ? […] Combien ont sombré dans le néant pour n'avoir pas su manœuvrer correctement ? Et combien ont su passer, avec succès, le test de la coexistence pacifique avec leur propre puissance ?2 » Nul ne connaît évidemment la réponse à ces questions ! Mais si une solution existe pour surmonter l'immense défi que représente le nucléaire, elle doit nécessairement passer par la prise de conscience que le risque n'a probablement jamais été aussi élevé qu'actuellement… Survivrons-nous à Hiroshima ? 1. Consultez l'horloge de l'apocalypse du Bulletin of the Atomic Scientists (en anglais) 2. L'heure de s'enivrer : L'univers a-t-il un sens ?, Hubert Reeves, éditions du Seuil, 2016 Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue


La Presse
05-08-2025
- Politics
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80e anniversaire de la bombe d'Hiroshima
Au bout du fil, Katsukuni Tanaka ne cesse de s'excuser. Même si sa vie a été largement définie par la bombe atomique qui a ravagé la ville où il est né il y a 80 ans, l'ancien journaliste japonais s'en veut de ne pas avoir grand-chose de « concret » à me raconter. Voyez-vous, il avait 10 mois quand la bombe larguée par les États-Unis est tombée sur Hiroshima le 6 août 1945 à 8 h 15. « Je suis un survivant, mais j'étais un bébé. La sœur de ma mère, qui travaillait au bureau de poste, a été tuée par la bombe. On n'a jamais retrouvé ses restes », dit-il, à partir de Vancouver où il est de passage. Après l'immense explosion, sa mère a pris le petit Katsukuni dans ses bras et a marché pendant 20 kilomètres pour se mettre à l'abri, laissant derrière elle 70 000 vies englouties, une ville calcinée et un fleuve couleur sang. Ce n'était que le début. On estime que 145 000 personnes, empoisonnées par les retombées radioactives, sont mortes à Hiroshima dans les six mois qui ont suivi l'explosion. Et après, il y a eu les cancers. Une épidémie de cancers qui a emporté la mère et le grand-père maternel de M. Tanaka. Aujourd'hui, son principal souvenir de l'évènement est le silence de ses proches. Dans sa famille, on ne parlait pas de cette arme nucléaire, Little Boy, nourrie par de l'uranium canadien, qui a pris pour cible des civils. On ne parlait pas de cet immense crime de guerre pour lequel les États-Unis n'ont jamais demandé pardon. Et pour cause, en parler a été interdit par l'armée d'occupation américaine pendant sept ans. La douleur, la discrimination et le stigmate ont ensuite entretenu ce lourd silence. Encore aujourd'hui, Washington estime que la fin – freiner l'empereur Hirohito et l'armée japonaise afin de mettre un terme à la Seconde Guerre mondiale – justifiait tous les moyens. Katsukuni Tanaka n'a peut-être pas de souvenirs de la bombe, mais ça ne l'a pas empêché de faire de la promotion de la paix un des piliers de sa vie, comme beaucoup d'autres Hibakusha, le nom donné aux survivants des bombes d'Hiroshima et de Nagasaki. PHOTO LAURA-JULIE PERREAULT, ARCHIVES LA PRESSE Katsukuni Tanaka, devant le dôme de Genbaku, à Hiroshima, au Japon Leur travail acharné a été récompensé par le prix Nobel de la paix l'an dernier. Lors de la remise du prix en Norvège, c'est un autre Tanaka, Terumi, aujourd'hui âgé de 93 ans, qui a pris la parole pour Nihon Hidankyo, l'Association des victimes de la bombe atomique et de la bombe à hydrogène. « Nous [demandons] l'abolition des armes nucléaires, qui sont des armes de tueries de masse inhumaines et ne doivent pas pouvoir coexister avec l'humanité », a-t-il réitéré au nom des 99 000 Hibakusha encore vivants aujourd'hui. Ils étaient 650 000 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ceux qui restent partagent une inquiétude viscérale. L'opprobre mondial entourant les armes nucléaires – opprobre qu'ils ont nourri de leurs histoires – faiblit de jour en jour. Les fortes mutations dans l'ordre mondial font actuellement ressurgir la tentation nucléaire à travers le monde, comme l'a récemment détaillé mon collègue Marc Thibodeau dans un dossier1. Le tout est accompagné par une course à l'armement qui balaie la planète entière. Le résultat, c'est qu'on n'a jamais été aussi proche d'une autre catastrophe nucléaire, selon le Bulletin of Atomic Scientists, mis sur pied par les scientifiques du Projet Manhattan, qui ont créé Little Boy. « Au Japon, des mouvements politiques très à droite veulent tourner le dos à la culture pacifiste, c'est dangereux, mais je suis convaincu que la majorité des Japonais n'est pas de cet avis », dit Katsukuni Tanaka, en faisant référence à la montée du parti d'extrême droite Sanseito aux élections sénatoriales du mois dernier. M. Tanaka ne voit pas non plus d'un bon œil le regain d'intérêt de plusieurs pays à l'égard de l'énergie nucléaire. « Au Japon, on a vécu la catastrophe de la centrale Fukushima après un tsunami. On mettra encore 30 ans à s'en remettre complètement. En Ukraine, on craint tous les jours pour la centrale de Zaporijjia, qui se retrouve au cœur des combats », rappelle-t-il. Découragé par la posture des États à l'égard du nucléaire, Katsukuni Tanaka continue de penser que ce sont les individus qui feront la différence à travers une sensibilisation de personne à personne. J'en suis moi-même le produit. M. Tanaka m'a fait visiter sa ville en 20192. Il a aussi été le photographe d'Yves Boisvert lors de sa visite à Hiroshima en 2015. Un des fondateurs de l'Association Hiroshima-Canada, M. Tanaka a aussi multiplié au cours des ans les voyages au Canada et les amitiés à Montréal, notamment avec l'ancien maire Pierre Bourque. C'est d'ailleurs dans le Jardin japonais qu'a créé M. Bourque qu'aura lieu la commémoration du 80e anniversaire de la bombe d'Hiroshima en ce mardi 5 août, à 19 h 15, soit l'heure de son explosion au Japon. M. Tanaka, lui, sera à Toronto lors de ce triste anniversaire, auprès d'une autre Hibakusha de renommée internationale, Setsuko Thurlow, aujourd'hui citoyenne canadienne. Cette dernière est l'une des figures de proue de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN), qui a remporté un autre prix Nobel de la paix, en 2017, pour avoir été à l'origine du Traité pour l'interdiction des armes nucléaires, aujourd'hui ratifié par 73 pays. « La politique, c'est compliqué, mais à travers le monde, il y a un immense réseau de citoyens qui se battent pour la paix », note Katsukuni Tanaka, qui est en contact avec des militants de toutes les nationalités, de tous les horizons C'est d'ailleurs à ces agents de la paix que je penserai à l'heure de la commémoration de la tuerie d'Hiroshima, tout en demandant à l'univers de faire de chacun de nous des héritiers des Hibakusha. 1. Lisez notre dossier « La tentation nucléaire » 2. Lisez la chronique « Hiroshima mon amour » de Laura-Julie Perreault